Michelle : Bonjour,
Emmanuelle.
J'ai
été très agréablement surprise par ce roman ! Je suis subjuguée
par la richesse des descriptions, autant en ce qui concerne celles
des "décors" que celles des sentiments ressentis par le
héros. Je vous félicite pour ce travail d’investigation sur les
origines de l'homme. Malgré un sujet que je dirais "compliqué",
vous avez su nous le faire découvrir et partager votre "théorie"
d'une façon agréable !
En
fait, le caractère scientifique est tellement bien intriqué dans le
romanesque qu'on ne sait pas exactement où s’arrête la fiction…
Du coup, on se demande si les informations proviennent de sources de
recherches sérieuses de bout en bout ou bien si une part
d’imagination prend le pas dans cette théorie de l’évolution.-
Mais c’est peut-être là tout le pouvoir évocateur de ce livre… ?
Emmanuelle
Bessot : (sourire) J’espère que c’est le cas, oui. Mais
en dehors de son pouvoir évocateur, ce livre est très sérieux.
En
fait, j’ai développée cette théorie de l’évolution humaine il
y a plusieurs années ; j’ai eu envie de la faire connaître
et j’ai tenté de la faire publier sous le titre de « La
légende de Pinocchio ».
Il
s’agissait d’un travail méticuleux, intelligemment argumenté et
solidement étayé. J’avais bien conscience que le texte était
complexe et parfois même fastidieux, mais je pensais dans ma grande
naïveté que la communauté scientifique ne pouvait pas passer à
côté d’une théorie aussi logique, d’autant que la thèse
d’Yves Coppens, l’East Side Story, commençait alors à
prendre l’eau de toute part !!! - C’était mal
connaître le monde de l’édition…
J’ai
quand même été recontactée par un éditeur qui souhaitait savoir
qui j’étais. En réalité, cette personne voulait savoir si
j’étais anthropologue. Quand je lui ai répondu que j’étais
« juste » une maman au foyer, ça a été plié !
Rangé au placard ! - Je n’avais tout simplement pas
la légitimité pour m’exprimer sur le sujet…
Ce
qui est idiot d’ailleurs parce que les anthropologues n’ont accès
à rien d’autre qu’aux os. Et un être vivant, c’est tout de
même bien plus que cela ! C’est de la chair, des organes, des
hormones, des influx nerveux ! Des relations sociales,
aussi... – Autant de données sur lesquelles les anthropologues
n’ont justement aucune prise. Et en l’occurrence, ils
n’expliquent pas le foisonnement d’hominidés qui se déploie sur
tous les fronts du continent africain à l’aube de l’humanité !
Ma
théorie, elle, explique tout cela.
Michelle :
Alors justement, quelle est-elle, cette théorie ?
Emmanuelle :
Hé bien, sans vouloir trop éventer le fil de ce roman, je dirais
que si notre ancêtre primate s’est mis debout, c’est à cause
d’une modification anatomique précise.
Cette
théorie, logique et évidente, s’inscrit dans l’œuvre d’André
Leroi-Gourhan, l’un des précurseurs à soutenir que l’humanité
a « commencé par les pieds » (1)
Là
dessus, j’émets une hypothèse pour expliquer l’origine de cette
modification : une certaine pratique rituelle. Ici, en revanche,
ce n’est qu’une hypothèse ; il pourrait y avoir d’autres
explications (une maladie, le stress,…). Mais cette hypothèse,
cette pratique rituelle, a le mérite d’expliquer la généralisation
de cette modification anatomique à toute une population et que cette
généralisation se soit perpétuée dans le temps.
Michelle :
Et concernant les Lakotas ? Quelle est la part de fiction et de
réalité ?
Emmanuelle :
Tout ce qui se rapporte à leur histoire, à la description de leurs
rites et aux pensées de ce peuple est conforme à ce que j’en
sais. En revanche, la route vers le sanctuaire, la description du
lieu sacré où le héros accouchera de sa vision et les anecdotes
liées à sa vie ne sont que pure fiction.
Michelle :
Vous êtes une passionnée ?
Emmanuelle :
Je ne sais pas si c’est le mot juste. Il y a encore cinq ans, je ne
savais pas grand-chose des natifs américains. J’ai été amenée à
potasser le sujet dans le cadre de la rédaction de ce livre, pour
lui donner plus de profondeur, plus de consistance.
Et
là, ça a été une véritable révélation…
Je
suis littéralement à genoux devant leur mode de pensée, devant
leur noblesse et leur générosité. Je suis atterrée par ce que mes
semblables leur ont fait subir, par ignorance, par bêtise et surtout
par cupidité. Et si j’avais la moindre once de spiritualité en
moi, c’est vers leurs croyances que je me tournerais, très
certainement !
En
fait, au départ, ce livre n’était qu’un prétexte pour pouvoir
y instiller ma théorie de l’évolution et me permettre de la
diffuser vers un plus large public, mais très vite, c’est devenu
plus que cela.
Plus
j’en apprenais sur le peuple de mon héros, plus je m’attachais à
lui.
J’ai
vraiment aimé écrire ce livre. J’espère que les lecteurs
aimeront le lire…
Michelle :
On dit souvent que les auteurs s’identifient à leur personnage.
Est-ce que votre héros vous ressemble ?
Emmanuelle
(rire) : Alors là, je pense que tous ceux qui me
connaissent seront très étonnés par ce livre et par la
personnalité de mon héros : il est exactement à l’opposé
de ce que je suis ! A 180 degrés, ni plus, ni moins !
Mon
héros est plein de doutes ; je ne suis que certitudes.
Il
est ouvert au mystique ; moi, je suis profondément
athée et je ne crois que ce que je vois.
Il
espère rencontrer Wakȟáŋ Tȟáŋka, le Grand Esprit,
et pense que cela le réconciliera avec les siens ; moi, j’ai
appris à ne compter que sur moi-même.
Enfin,
mon héros a eu la chance d'avoir une enfance parfaitement épanouie,
entouré de l’amour de tous les siens, et paradoxalement cela l’a
fragilisé.
Non,
vraiment, rien de commun avec moi…
Michelle :
Et en ce qui concerne Philippe, son meilleur ami ?
Emmanuelle :
Oui, la douleur de Philippe et la manière dont il se réapproprie sa
souffrance sont beaucoup plus proche de mon propre vécu, même si
son histoire n’est pas la mienne. Et même si son histoire me
touche personnellement et profondément.
Non,
vraiment, à part ça, je crois que je ne dévoile rien, ou en tout
cas pas grand chose de moi dans ce livre.
(sourire :)
Peut-être dans le prochain ?
(1)
Leroi-Gourhan : Le Geste et la Parole, I. Technique et langage.
Albin Michel, Paris, 1964).
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